La raison pure

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Ce volume contient la PrĂ©face intĂ©grale de la seconde Ă©dition de la Critique de la raison pure, des extraits de la premiĂšre Critique et quelques passages des ProlĂ©gomĂšnes, court texte trĂšs Ă©clairant qui permet d’entrer plus facilement dans l’Ɠuvre kantienne. Il est Ă©galement proposĂ© un plan de l’ouvrage et un vocabulaire particuliĂšrement utile.

O autorovi

Cet article provient du Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, tome 1, sous la dir. de Monique Canto-Sperber, 2004. KANT Emmanuel, 1724-1804 Fondateur de la philosophie critique, Emmanuel Kant renouvelle entiĂšrement la question de l’objectivitĂ© du savoir (Critique de la raison pure, 1781 et 1787), de la volontĂ© (Critique de la raison pratique, 1788) et du jugement (Critique de la facultĂ© de juger, 1790). Le retentissement du kantisme est tel qu’il reste une rĂ©fĂ©rence obligĂ©e pour toute Ă©valuation du statut et du destin de la modernitĂ©. La morale de Kant, ou plutĂŽt la formulation kantienne de la morale, assigne Ă  la rationalitĂ© moderne la tĂąche de s’ouvrir Ă  une fin pratique suprĂȘme. Son interrogation spĂ©cifique, “ que dois-je faire ? ”, signifie que ni la thĂ©ologie traditionnelle, ni la science moderne ne sont fondatrices de certitudes pratiques et indique un vide philosophique correspondant Ă  la question des fins ultimes de l’usage de la raison. Le philosophe moral introduit le besoin d’une conception cosmique ou cosmopolitique de la philosophie, parce qu’il ne vise pas seulement la science, mais la destination totale de l’homme. La morale guide et ponctue ainsi l’entreprise critique : elle surmonte l’épreuve des contradictions thĂ©oriques de la raison, fournit le concept exact de son pouvoir pratique, et elle justifie l’investigation du concept de monde du point de vue de la fin derniĂšre de l’existence. La conception morale de l’homme anime encore les Ɠuvres postĂ©rieures aux trois Critiques quand il s’agit de religion (1793), d’histoire et d’anthropologie (1798). De la Critique de la raison pure Ă  la Critique de la raison pratique : l’intĂ©rĂȘt pratique de la raison La Dialectique transcendantale de la premiĂšre Critique analyse les causes du discrĂ©dit et de l’obscurcissement du rĂŽle de la raison dans la philosophie. La pensĂ©e succombe Ă  des contradictions spĂ©culativement insurmontables lorsque l’intĂ©rĂȘt cognitiviste de l’entendement, conçu comme son intĂ©rĂȘt exclusif, est l’objet d’usages philosophiques rivaux qui font concurremment de Dieu et de la nature l’autoritĂ© thĂ©orique suprĂȘme. D’un cĂŽtĂ©, la mĂ©taphysique rationaliste, qui fait dĂ©pendre la moralitĂ© de la connaissance de Dieu, Ă©tend l’omnipotence des pouvoirs thĂ©oriques Ă  des rĂ©alitĂ©s suprasensibles, dont elle fait l’objet possible d’une intuition mystique. Contre elle, le concept moderne, exclusivement phĂ©nomĂ©nal de la science, constitue l’arme critique de la pensĂ©e des LumiĂšres, et la mĂ©taphysique est accusĂ©e de se livrer Ă  des constructions thĂ©oriques fantastiques aux consĂ©quences Ă©thiques fanatiques. Le kantisme n’entend pas seulement affranchir le savoir de toute mystique dogmatique, mais Ă©galement la volontĂ©. Et lorsque la Critique de la raison pratique examine Ă  son tour les causes d’une dialectique pratique de la raison, le rejet de l’ontologie traditionnelle s’impose pour des raisons morales. Les conceptions qui traitent Dieu, l’ñme et l’immortalitĂ© comme des choses ou de simples phĂ©nomĂšnes ne sont pas simplement illĂ©gitimes du point de vue thĂ©orique, elles sont insuffisamment morales du point de vue pratique. Ce n’est plus seulement l’orgueil spĂ©culatif du rationalisme dogmatique qui est mis en accusation, mais l’immoralitĂ© de sa reprĂ©sentation anthropomorphique de Dieu, qui fait de la bontĂ© divine une complaisance arbitraire et de la moralitĂ© humaine l’attente de bienfaits dont le bonheur, plutĂŽt que le mĂ©rite, dĂ©finit la mesure. L’intĂ©rĂȘt pratique de la raison consiste alors Ă  substituer des concepts moralement droits Ă  des reprĂ©sentations thĂ©oriquement erronĂ©es : les limites de la connaissance doivent faire place Ă  une fondation morale de toute espĂ©rance possible. D’un autre cĂŽtĂ©, l’empirisme tend Ă  spĂ©cialiser la critique philosophique dans la pratique du scepticisme, en limitant le pouvoir des idĂ©es aux conditions de. leur genĂšse. Mais la faiblesse des conceptions sceptiques est de croire que la connaissance des conditionnements naturels suffit Ă  produire l’émancipation de la pensĂ©e humaine, sans Ă©valuer le redoutable pouvoir de destruction Ă©thique dont se paie la croyance dans la fĂ©conditĂ© de l’incroyance. L’empirisme devient dogmatique quand il affirme l’inutilitĂ© des idĂ©es qui dĂ©passent la mesure de l’expĂ©rience et qu’il range la libertĂ© et la personnalitĂ© morale dans le lot des notions confuses ou fictives. Le criticisme n’entend pas borner la philosophie Ă  la tĂąche nĂ©gative d’une comptabilisation des erreurs, et la deuxiĂšme Critique fait de l’intĂ©rĂȘt pratique de la raison la condition de tout usage critique de la thĂ©orie. La morale contribue ainsi Ă  intensifier la demande de rationalitĂ© et Ă  Ă©tendre l’usage possible de la raison. L’intĂ©rĂȘt pratique n’agrandit pas le domaine de la rationalitĂ© Ă  la maniĂšre d’une science de la nature, par la maĂźtrise des objets, mais en restituant Ă  la raison elle-mĂȘme son droit originel Ă  l’éclaircissement de sa propre destination, identifiĂ© au droit et Ă  la fin suprĂȘme de l’humanitĂ©. Il Ă©largit la demande d’intelligibilitĂ© par la conversion des moyens de connaĂźtre en moyens de comprendre et en raisons de vouloir. Conçues comme des concepts sans intuition, les IdĂ©es de la raison ne sont ni des visions, ni des fictions, mais des rĂ©quisits de l’action morale. Elles donnent sens Ă  un monde et Ă  un devenir possibles pour des volontĂ©s libres, dont les fins outrepassent tout conditionnement naturel. Les Fondements de la mĂ©taphysique des mƓurs et la Critique de la raison pratique : la fondation de la morale L’analyse des mƓurs doit faire la preuve que la raison exerce en l’homme un rĂ©el pouvoir et qu’elle constitue l’unique source de toute valeur morale. Cette preuve ne peut ĂȘtre Ă©tablie que par un travail de fondation, destinĂ© Ă  mettre en lumiĂšre l’origine exacte de tous les concepts moraux. La fondation de la morale est d’abord exposĂ©e dans l’ouvrage le plus populaire de Kant, les Fondements de la mĂ©taphysique des mƓurs (1785) ; partant du concept de volontĂ© bonne, tirĂ© des jugements du sens commun, il s’élĂšve aux principes purs de la philosophie morale : l’impĂ©ratif catĂ©gorique et l’autonomie de la volontĂ©. À cet itinĂ©raire initiatique s’ajoute une visĂ©e programmatique de l’ensemble de la philosophie morale qui annonce le besoin d’une Critique de la raison pratique et celui d’une prĂ©sentation mĂ©thodiquement ordonnĂ©e de l’ensemble des devoirs dans une MĂ©taphysique des mƓurs (1797). La deuxiĂšme Critique, en 1788, entreprend de donner un tour plus systĂ©matique et conceptuel Ă  la fondation de la morale en utilisant un procĂ©dĂ© synthĂ©tique : la philosophie y exerce sa vĂ©ritable mĂ©thode, celle d’une construction a priori de concepts, administrant la preuve que la morale n’a pas besoin d’intuition pour ĂȘtre fondĂ©e en raison. Il ne s’agit plus alors de dĂ©gager l’essence de la moralitĂ© Ă  partir de la conscience commune, mais de dĂ©duire directement de la raison pratique les principaux concepts moraux : la libertĂ©, le devoir, et le souverain bien. Cette mĂ©thodologie critique confĂšre Ă  la moralitĂ© une autonomie conceptuelle qui garantit son indĂ©pendance Ă  l’égard de toute rĂ©fĂ©rence naturaliste, substantialiste ou intuitiviste. La volontĂ© bonne est celle qui reconnaĂźt dans le devoir l’unique origine possible de toute action morale : est vertueux l’individu qui peut choisir d’agir par pur respect pour le devoir. La moralitĂ© humaine tient tout entiĂšre dans le choix des maximes qui dĂ©terminent la valeur d’une action, ce qui conduit Ă  caractĂ©riser d’une façon gĂ©nĂ©rale la morale kantienne comme une morale de l’intention. Cette qualification est justifiĂ©e Ă  la condition de ne pas comprendre l’intention comme un mobile, une prĂ©disposition subjective arbitraire ou encore un sentiment qui prend plaisir Ă  faire plaisir. La conception critique se distingue d’une axiologie subjectiviste en ce qu’elle rĂ©clame une justification strictement conceptuelle, fondĂ©e dans la raison et non dans l’intuition, de l’opposition entre les faits et les valeurs. Hume a prĂ©cĂ©dĂ© Kant dans la dĂ©termination de ce qui est proprement moral, Ă  savoir l’opposition de la pratique Ă  la thĂ©orie, du devoir-ĂȘtre Ă  l’ĂȘtre. Mais la dĂ©couverte humienne est empiriste et elle part du constat que la connaissance est par elle-mĂȘme incapable de fournir des mobiles d’action. Les ressorts de l’agir humain ne peuvent ĂȘtre que des sentiments, propres Ă  engendrer des incitations, Ă  dĂ©terminer des prĂ©fĂ©rences – rĂ©pugnances ou adhĂ©sions suscitĂ©es par le spectacle des actions dans le monde – que la thĂ©orie est impuissante Ă  provoquer. La morale est donc unique en son ordre, qui est celui de l’évaluation, subjective et affective en son origine. Cette version de la spĂ©cificitĂ© de la morale soustrait le domaine de l’action Ă  la compĂ©tence de la raison et incite Ă  cantonner la moralitĂ© dans une spontanĂ©itĂ© affective infrarationnelle, orientation condamnĂ©e par Kant chez les philosophes populaires de son temps, enclins Ă  obscurcir le concept du devoir par un subjectivisme sentimentaliste dĂ©pourvu de toute objectivitĂ© rationnelle. Il en rĂ©sulte l’erreur la plus courante et la plus sujette Ă  rĂ©cidives : celle qui dĂ©crĂšte l’impossibilitĂ© et l’inutilitĂ© de principes a priori dans la morale, ramenĂ©e Ă  une Ă©valuation vitale des besoins dont la mobilisation hĂ©doniste du dĂ©sir est l’ultime ressort. Le tournant accompli par la philosophie kantienne de la volontĂ© tient au renversement de cette conception intuitionniste de l’action, jugĂ©e pathologique, c’est-Ă -dire passive et rĂ©actionnelle. Le devoir doit ĂȘtre conçu de façon morale et non plus de façon pragmatique, comme une source d’obligation et non comme le rĂ©sultat d’une Ă©valuation. DĂšs lors que la conscience identifie son devoir dans la forme universelle d’une obligation objective, elle fait la preuve qu’il n’est pas inspirĂ© par une impression sensible. La mĂ©thode mĂ©taphysique de la fondation des mƓurs, mĂ©thode purement conceptuelle qui procĂšde sans le secours de l’intuition et qui vaut au kantisme sa rĂ©putation d’abstraction, s’emploie Ă  produire la formule du devoir sans jamais la dĂ©river d’une thĂ©orie des mobiles, autrement dit d’une connaissance anthropologique ou empirique de l’homme. Moralement compris, le devoir est la reconnaissance d’une contrainte qui s’impose indĂ©pendamment de toute autre sollicitation et antĂ©rieurement aux prĂ©fĂ©rences des penchants, c’est-Ă -dire de maniĂšre a priori. Par le devoir, toute conscience expĂ©rimente que le pouvoir pratique de la raison s’exerce en l’homme comme un commandement qui ne provient d’aucune expĂ©rience morale antĂ©rieure, qu’elle soit d’origine sociale, religieuse ou psychologique. La classification des impĂ©ratifs de l’action, dans la deuxiĂšme section des Fondements, identifie le caractĂšre inconditionnel de ce commandement Ă  sa validitĂ© a priori objective. Chacun reconnaĂźt que le devoir moral ne peut ĂȘtre commandĂ© que par une loi, et non par un attrait ou un but arbitraire. L’impĂ©ratif catĂ©gorique exprime ainsi l’unique loi morale qui commande dans tout devoir, en lui donnant la forme lĂ©gislative qui convient Ă  son caractĂšre absolument originaire : toute maxime subjective de la volontĂ© doit pouvoir ĂȘtre formulĂ©e comme une loi universelle objective de l’action. Si l’impĂ©ratif ne commande que par sa forme, c’est qu’il permet Ă  toute maxime, Ă  tout projet individuel, de prouver son caractĂšre originairement moral en s’énonçant comme une loi indĂ©pendante des circonstances et antĂ©rieure aux mobiles de la subjectivitĂ© sensible. Le formalisme critique manifeste ainsi l’existence de lois objectives de la libertĂ© identifiables dans les devoirs. Renonçant Ă  mesurer la moralitĂ© Ă  l’utilitĂ©, il cesse de faire de l’efficacitĂ© – ou des diverses maniĂšres d’influencer le comportement des hommes – le centre d’intĂ©rĂȘt de la rĂ©flexion morale. Il existe d’autres justifications du devoir (d’autres impĂ©ratifs), mais elles sont toutes pragmatiques en ce sens qu’elles font du respect du devoir une action utile (impĂ©ratifs de l’habiletĂ©) ou une action dĂ©sirable, en vue d’obtenir le bonheur (impĂ©ratifs de la prudence). Dans tous ces cas, accomplir son devoir constitue une action intĂ©ressĂ©e, non une action libre. Pour Ă©chapper Ă  la sujĂ©tion radicale entraĂźnĂ©e par la logique de l’intĂ©rĂȘt, la mĂ©thode de fondation de la morale reconnaĂźt la nĂ©cessitĂ© de l’existence de la libertĂ©. Parce qu’elle n’impose aux hommes, comme sujets, que des devoirs qu’ils peuvent se donner Ă  eux-mĂȘmes, comme lĂ©gislateurs, la morale dĂ©finit l’usage objectif, autoprescriptif, de la libertĂ© et elle donne accĂšs Ă  l’autonomie de la volontĂ© en tant que concept objectif de la libertĂ© personnelle (Fondements, sect. III). La Critique de la raison pratique affronte plus particuliĂšrement la difficultĂ© de dĂ©river directement l’autonomie de la libertĂ©. Ne voulant pas rĂ©duire la libertĂ© Ă  une aptitude psychologique, elle se heurte Ă  l’impossibilitĂ© thĂ©orique de la traiter comme une cause transcendante. Les limites de la connaissance, en effet, font de l’action de la libertĂ© sur un ĂȘtre sensible un phĂ©nomĂšne empiriquement incomprĂ©hensible. Ce qui ne signifie pas que la libertĂ© est un concept vide, mais qu’elle est un concept problĂ©matique pour la catĂ©gorie dĂ©terministe de la causalitĂ©, dont elle outrepasse la signification naturelle. Une solution spĂ©cifiquement morale doit ĂȘtre apportĂ©e Ă  l’antagonisme catĂ©gorial entre nĂ©cessitĂ© et libertĂ©. C’est pourquoi la libertĂ© est prĂ©sentĂ©e comme une IdĂ©e, le sujet du devoir et l’unitĂ© d’un monde moral comme des rĂ©alitĂ©s intelligibles. De telles reprĂ©sentations ont pu provoquer incomprĂ©hensions et objections en raison de l’apparence dogmatique qu’elles peuvent avoir sur le plan thĂ©orique. Mais comme il s’agit d’une fondation morale de la libertĂ©, leur indĂ©pendance pratique seule est ici dĂ©terminante, sans que la Critique leur donne une quelconque assise intuitive et tombe dans l’illusion d’un savoir transcendant. Étant un concept entiĂšrement issu de la raison pure, la libertĂ© doit ĂȘtre comprise comme la propriĂ©tĂ© de la raison pratique elle-mĂȘme, comme la propriĂ©tĂ© spĂ©cifique ou l’essence de tout ĂȘtre raisonnable en gĂ©nĂ©ral. Ce concept est l’objet d’un malentendu que Kant s’est efforcĂ© de dissiper : l’ĂȘtre raisonnable ne dĂ©signe pas un ĂȘtre douĂ© de raison au sens d’une facultĂ© naturelle utile, il est l’unique concept possible, moral, d’un ĂȘtre libre et dont la libertĂ© “ ne se rĂ©vĂšle que dans les rapports moraux pratiques ” (Doctrine de la vertu, I, § 3). L’autonomie peut donc ĂȘtre comprise comme un approfondissement de la connaissance de soi humaine par la mĂ©thode mĂ©taphysique. ApprĂ©hender le devoir comme ce qui lie la volontĂ© Ă  une loi, et non Ă  des objets, constitue un acte de nature intellectuelle par lequel l’homme le plus ordinaire se reprĂ©sente lui-mĂȘme comme une intelligence ou comme un ĂȘtre intelligible. N’étant pas dĂ©terminĂ© par son application Ă  une rĂ©alitĂ© particuliĂšre, le concept d’ĂȘtre raisonnable n’inclut pas seulement les hommes, mais les ĂȘtres qui sont reprĂ©sentĂ©s comme des saints, ainsi que Dieu lui-mĂȘme, et il dĂ©signe toutes les volontĂ©s dont l’unitĂ©, en tant qu’elle peut ĂȘtre exclusivement morale, dĂ©finit a priori l’IdĂ©e d’un monde intelligible. Leur caractĂšre intelligible ne doit pas ĂȘtre compris thĂ©oriquement, comme une conceptualisation faible ou incertaine, mais pratiquement, comme norme de jugement : toute volontĂ© doit ĂȘtre moralement traitĂ©e comme source de l’intelligibilitĂ© et de la valeur objective des lois pratiques. C’est pourquoi la nature ne peut constituer, comme ensemble de forces, le schĂšme intuitif de la signification des lois pratiques ; elle peut seulement, en tant qu’unitĂ© d’une lĂ©gislation formelle, fournir le type d’une communication intelligible des volontĂ©s (CRpr., I, livre I, chap. II). La mĂ©thode formelle ne vide pas de tout contenu humain le concept d’ĂȘtre raisonnable, elle le rend entiĂšrement adĂ©quat Ă  la propriĂ©tĂ© spĂ©cifiquement humaine de l’homme, Ă  savoir sa dignitĂ©, qui n’est conditionnĂ©e par aucune circonstance. Si la dignitĂ© n’était que pragmatiquement comprise, elle ne s’élĂšverait pas au-dessus du plus grand bien empiriquement concevable, Ă  savoir l’utilitĂ© que chacun peut donner Ă  sa vie pour le plus grand bien de tous les autres. Cette conception utilitariste ne suffirait pas Ă  qualifier de maniĂšre inconditionnelle – Kant dit parfois “ sublime ” – la valeur intrinsĂšque de l’humanitĂ© en tout homme, la dignitĂ© ne pouvant ĂȘtre octroyĂ©e par Dieu lui-mĂȘme puisque la loi morale qui est en chacun le constitue sans conditions comme un objet du respect divin. La MĂ©taphysique des mƓurs : le droit et l’éthique À la partie proprement critique de l’Ɠuvre (au travail de fondation), succĂšde la partie doctrinale, constituĂ©e par l’application des principes moraux Ă  la rĂ©alitĂ© des mƓurs. La MĂ©taphysique des mƓurs est le titre de l’ensemble de cet exposĂ© doctrinal subdivisĂ© en deux parties, la Doctrine du droit et la Doctrine de la vertu. Kant y applique l’unique critĂšre de scientificitĂ© philosophique : la systĂ©maticitĂ©. Les devoirs ne sont pas rĂ©pertoriĂ©s selon un classement empirique, car l’observation ne pourrait indiquer que la maniĂšre (historique) dont les lois sont appliquĂ©es, et non la maniĂšre (pratique) dont les lois doivent ĂȘtre appliquĂ©es. Dans la terminologie kantienne, les mƓurs ne sont rien d’autre que l’ensemble des devoirs ou l’ensemble des reprĂ©sentations pratiques que l’on doit avoir des sources de l’obligation : de la propriĂ©tĂ©, des contrats et de la citoyennetĂ© – quand il s’agit de droit –, de soi-mĂȘme et d’autrui – quand il s’agit de vertu. L’application doctrinale prolonge la mĂ©thodologie mĂ©taphysique et ne sert pas Ă  indiquer, ce qui sera l’objet propre d’une Anthropologie du point de vue pragmatique (1798), les circonstances favorables ou dĂ©favorables Ă  l’application de la loi ; elle n’est pas une application pragmatique, mais morale, de l’impĂ©ratif catĂ©gorique. Toutes les lois susceptibles de rĂ©gler les mƓurs sont des lois de la libertĂ© qui reprĂ©sentent la maniĂšre dont chaque usage de la libertĂ© doit ĂȘtre dĂ©terminĂ© par la raison. Or l’exercice de la libertĂ© peut ĂȘtre soit extĂ©rieur, quand il s’agit des relations que les hommes ont entre eux (Doctrine du droit), soit intĂ©rieur, quand il s’agit de la relation intime de tout individu avec lui-mĂȘme dans l’exercice d’une contrainte personnelle sur ses penchants (Doctrine de la vertu). Ces deux usages de la libertĂ© dĂ©limitent ainsi deux types de lĂ©gislations pratiques, la lĂ©gislation juridique (centrĂ©e sur la justice des lois) et la lĂ©gislation Ă©thique (centrĂ©e sur la valeur des personnes). D’autres caractĂšres systĂ©matiques contribuent encore Ă  distinguer les devoirs de droit des devoirs de vertu : le droit concerne la forme des actions, tandis que la vertu en commande les fins ; les obligations contenues dans le droit sont dites parfaites (ou strictes), celles qui concernent la vertu imparfaites (ou larges) en ce qu’elles commandent le but sans en commander les moyens. L’obligation de rendre son dĂ» Ă  un crĂ©ancier, devoir de droit, est complĂšte parce qu’elle impose l’action elle-mĂȘme comme moyen d’accomplir son devoir ; en revanche, le respect d’autrui, devoir de vertu, est, quoique entiĂšrement fondĂ© par sa fin, incomplet quant aux maniĂšres, qui peuvent ĂȘtre diverses, de s’en faire une obligation. La distinction rĂ©putĂ©e la plus problĂ©matique pour le statut du droit est celle qui oppose le droit Ă  l’éthique en retirant la lĂ©galitĂ© de la sphĂšre de la moralitĂ©. La conformitĂ© extĂ©rieure de l’action au devoir suffit Ă  dĂ©finir la lĂ©galitĂ© juridique, tandis que la vertu fait du devoir le mobile intĂ©rieur de la dĂ©cision morale. L’opposition met en Ă©vidence la spĂ©cificitĂ© du droit : la contrainte peut dĂ©cider chacun Ă  exĂ©cuter ce qu’il n’a pas envie de faire, ce dont il ne fait pas sa maxime. La lĂ©galitĂ© dĂ©finit ainsi les rĂšgles d’un usage Ă©gal pour tous de la contrainte, et la simple conformitĂ© de l’action Ă  la loi juridique suffit Ă  dĂ©finir un devoir parfait, qui peut ĂȘtre extĂ©rieurement exĂ©cutĂ© sans l’appui d’aucune intention vertueuse. Mais si le droit se caractĂ©risait exclusivement par l’emploi de la violence lĂ©gale, il ne dĂ©signerait plus qu’un phĂ©nomĂšne historique contingent, l’emploi de la force variant au grĂ© des formes de gouvernements. Dans cette version historiciste, la rĂ©alisation du droit se passe de la morale comprise comme lĂ©gislation intĂ©rieure d’une volontĂ© libre. Comme le propos d’une MĂ©taphysique des mƓurs n’est pas de dĂ©clarer le droit Ă©tranger Ă  l’intelligibilitĂ© pratique, il importe de souligner que la spĂ©cificitĂ© du droit est exigĂ©e par la morale elle-mĂȘme en vue de qualifier et de prĂ©server la nature respective des prescriptions collectives et des prescriptions individuelles. Les limitations imposĂ©es par la Typique du jugement pratique s’appliquent, et le droit ne retient que la forme, non les contenus d’une lĂ©gislation extĂ©rieure qui pourrait ĂȘtre celle d’une nature. Il est contraire au concept moral de libertĂ© de traiter l’obligation juridique comme une finalitĂ© vertueuse : on ne saurait contraindre un individu Ă  Ă©prouver certains sentiments ou Ă  se rendre heureux contre son grĂ© ; si l’on peut exiger d’un pĂšre qu’il nourrisse ses enfants, on ne saurait imposer la vie familiale comme une preuve extĂ©rieure de vertu. La distinction entre lĂ©galitĂ© et moralitĂ© prend ainsi une signification moralement dĂ©cisive dans la philosophie politique kantienne : c’est un trait essentiel de la politique moderne que de ne pas assigner au droit le but de rendre les hommes vertueux (Religion, III, sect. I, § II). Bien que l’exercice de la contrainte caractĂ©rise le droit, il ne peut se justifier d’une façon uniquement empirique et politique. Kant s’en est expliquĂ© dans le Projet de paix perpĂ©tuelle (1795) en prenant le contre-pied des thĂšses de Garve, philosophe populaire de son temps. Établissant une distinction entre les devoirs de conscience (moralitĂ©) et les devoirs de justice (lĂ©galitĂ©), Garve en conclut qu’on ne saurait exiger des souverains toute la rigueur morale qu’imposent les devoirs de conscience, sauf Ă  entraver leur pouvoir national et international d’action. L’écrit sur la paix rejette cette dualitĂ© pragmatique entre le droit et la morale qui revient Ă  asservir le droit Ă  la politique. Pour en corriger les effets despotiques, il donne Ă  la morale son sens le plus large, qui dĂ©signe l’ensemble des mƓurs rĂ©glĂ©es par des obligations et inclut le droit et l’éthique comme ses deux branches constitutives (Appendice, II). Dans la mesure oĂč la morale dĂ©signe, objectivement, toute obligation fondĂ©e dans la raison pratique et, subjectivement, ce qui est voulu par devoir, la terminologie kantienne module ses distinctions selon le double registre de la fondation et de l’application de ses principes. Que le droit et l’éthique ne soient jamais confondus est essentiel Ă  leur application respective. Croire que les droits des hommes se concĂšdent par bienveillance ou par sympathie, ou qu’ils se mesurent aux qualitĂ©s donnĂ©es par la nature aux individus, revient Ă  les affaiblir juridiquement : ils doivent s’appliquer, selon la lĂ©galitĂ©, par limitation de l’action d’autrui, tandis que la vertu demeure libre de s’imposer envers autrui plus d’obligations que le droit n’en exige. Toutefois, les devoirs de droit sont dits indirectement Ă©thiques en vertu de leur fondation pratique pure, dont ils retirent une valeur objective absolue et qui confĂšre aux droits de l’homme, en particulier, “ un caractĂšre sacr頔, inconditionnel (Doctrine de la vertu, introd., IX). Si la Doctrine du droit use de la mĂ©thode mĂ©taphysique, c’est en vue de traiter pratiquement, comme des devoirs, les obligations juridiques assorties de contrainte. Elle les fait dĂ©river d’une pure volontĂ©, qui n’est pas une volontĂ© personnelle de vertu, mais une volontĂ© gĂ©nĂ©rale, dont elle fait la source intelligible, originaire, de toute loi qui peut s’imposer comme juste en prenant la forme obligatoire d’un impĂ©ratif catĂ©gorique de la coexistence possible. La Doctrine du droit et les Opuscules sur l’histoire : morale et politique Si la lĂ©galitĂ© circonscrit la spĂ©cificitĂ© du droit, c’est que celui-ci est de nature entiĂšrement relationnelle. Selon le Droit privĂ©, les individus, considĂ©rĂ©s indĂ©pendamment des liens civils ou politiques, s’associent volontairement par des contrats ; Ă  l’intĂ©rieur du Droit public, le Droit politique garantit leurs droits naturels Ă  la propriĂ©tĂ©, la libertĂ© et l’égalitĂ© par une relation de subordination commune aux lois gĂ©nĂ©rales imposĂ©es par l’État, tandis que le Droit des gens et le Droit cosmopolitique font de la paix, ou bien de la guerre, une situation entiĂšrement dĂ©pendante de la nature des relations internationales. Pour le juriste, la science du droit est la connaissance empirique des lois positives. Cette dĂ©finition, qui le cantonne professionnellement dans la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts de l’État, n’attribue Ă  la lĂ©gislation que l’origine historique d’une volontĂ© empiriquement dominante. À cette thĂ©orisation technique, qui subordonne le droit au fait et aux mobiles de la puissance (possessivitĂ© individuelle dans les rapports privĂ©s, inĂ©galitĂ©s entre nations et faits de guerre dans les relations politiques), la Doctrine du droit oppose une conception rationnelle pratique, une science pure du droit. Sa mĂ©thodologie constructiviste ne retient que la forme des relations juridiques, de simples rapports externes entre des libertĂ©s affranchies de la facticitĂ© des contenus. Ce traitement transcendantal, qui inspire la mĂ©thode utilisĂ©e par J. Rawls dans “ le voile d’ignorance ” (ThĂ©orie de la justice, I, chap. 3, § 24), a pour but d’isoler l’origine pure du besoin de droit : les volontĂ©s rĂ©clament de purs principes pratiques universels de liaison, incommensurables aux liens simplement anthropologiques qui les assujettissent Ă  la nature. Dans la mesure oĂč la Doctrine du droit les fait dĂ©river de principes a priori impĂ©ratifs, les lois ne tirent leur force obligatoire que de leur intelligibilitĂ© pratique. De sorte que le droit naturel (Naturrecht), compris en un sens normatif et non naturaliste, ne dĂ©signe rien d’autre que l’autonomie pratique du pur concept de droit, ou son universalitĂ© a priori exigible. Dans le Droit privĂ©, la notion de “ propriĂ©tĂ© intelligible ” dĂ©signe ainsi la nature essentiellement intellectuelle de la propriĂ©tĂ©, qui la qualifie juridiquement comme source de liens volontaires. Tous les biens Ă  acquĂ©rir, y compris les prestations d’autrui, sont crĂ©ateurs de liens entre des volontĂ©s qui ne sont pas soumises Ă  l’autoritĂ© des choses. Dans le Droit politique, la conception du contrat social n’est pas historique (elle se bornerait Ă  justifier un Ă©tat de fait), mais purement conceptuelle. Le contrat est l’IdĂ©e d’une volontĂ© gĂ©nĂ©rale qui sert de modĂšle pratique, ou de norme, Ă  la maniĂšre dont un État doit ĂȘtre instituĂ©, se gouverner et faire respecter les lois. Au niveau national, la volontĂ© gĂ©nĂ©rale doit ĂȘtre reprĂ©sentĂ©e comme Ă©tant celle du peuple, au niveau international, elle doit fournir le modĂšle d’une volontĂ© fĂ©dĂ©rative des peuples en vue d’une paix mondial

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