Une nuit

Library of Alexandria · AI 朗讀:Fiona (來自 Google)
有聲書
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關於這本有聲書

D’un coup de sa longue cravache de cuir, il frappa furieusement, follement, la douce bête cabrée, toute blanche d’écume. Elle se dressa plus encore, secouant à droite et à gauche sa sotte petite tête obstinée, avec un gémissement presque humain. Les rênes filèrent entre les doigts, puis claquèrent d’un seul coup sec, les quatre fers grincèrent à la fois, le taillis grêle s’ouvrit et se referma sur la croupe… Et il regardait stupidement sa main sanglante, l’oreille encore occupée du bruissement sauvage des feuilles, tandis qu’une pluie de grosses fleurs blanches tombait sur son cou et ses épaules, lourdes comme des fruits.

Le tonnerre du galop roula quelques instants encore à travers l’immense désert d’arbres, puis se confondit par degrés avec la respiration plus vaste du soir. De l’est à l’ouest, toutes les cimes frémirent à la fois, et sans qu’un seul brin d’herbe remuât sur le sol exténué, il entendait peiner et craquer les puissantes membrures, à cinquante pieds au-dessus de sa tête.

— Zut ! dit-il simplement, avec un calme qui le surprit. Pas la peine de chercher la sale bête ce soir. Quelle sottise !

Il ramassa par terre une des fleurs étranges et machinalement épongea sa paume et ses doigts poissés de sang. Le pétale, mou comme une pulpe, s’écrasait à mesure sur la plaie gonflée, avec une odeur de poivre et de cannelle, et sitôt touché le sol, ainsi qu’un petit tas de boue grise, il semblait qu’elle commençât d’y pourrir. Il cracha dessus, par dégoût.

D’ailleurs, la rumeur d’en haut s’enflait peu à peu, déferlant d’un horizon à l’autre, sur des centaines de lieues de feuillage peut-être ; puis le vent faiblit tout à coup, après une dernière et plus longue plainte, aiguë, déchirante, surnaturelle, et pourtant si vivante qu’une bête inconnue y répondit, au loin, d’un cri pareil. De l’humus noir et vénéneux, gonflé de toutes les fécondités de la corruption, crevé çà et là, ainsi qu’une pâte qui fermente, de grosses bulles livides, d’énormes champignons phalliques, sortait une espèce de buée pesante, à hauteur d’homme. Tournant la tête, il vit noircir la pente du ravin qu’il avait eu tant de mal à descendre, et l’ombre courir entre les troncs à la vitesse d’un cheval au galop. Il ne semblait pas que la nuit tombât du ciel, mais plutôt que le jour remontât lentement, glissât lentement, de bas en haut, comme pompé par cet autre abîme qu’on devinait sans voir, au delà du vaste murmure des feuilles. Le crépuscule insidieux s’évanouit lui-même comme il était venu, au point que le voyageur solitaire ne perçut d’abord des ténèbres qu’une odeur plus violente et plus âcre, parfois doucement miellée, de la forêt endormie. La chaleur était égale, assidue, atroce, irrésistible. Il éclata d’un rire nerveux, qu’il soutint longtemps, ainsi qu’une injure au silence et à sa propre angoisse. Et se laissant enfin glisser à terre, il tâcha de se recueillir, en fermant les yeux.

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